La circulation sanguine pieds est un mécanisme physiologique complexe essentiel au maintien de la santé du membre inférieur. L’efficacité du retour veineux, notamment, dépend de diverses structures anatomiques et fonctions biomécaniques, incluant la contraction musculaire, le positionnement postural, et l’interaction avec l’environnement externe comme le choix des chaussures. À ce sujet, la relation entre chaussures et insuffisance veineuse est au cœur de nombreuses préoccupations cliniques et scientifiques, du fait de l’incidence croissante des troubles veineux chroniques constatés dans les populations modernes. Cet article présente une analyse critique et approfondie des connaissances scientifiques sur le rôle et l’impact du chaussage sur la circulation veineuse ainsi que les manifestations cliniques telles que les pieds gonflés associés à l’insuffisance veineuse.
1. Physiologie et Anatomie de la Circulation Veineuse au Niveau des Pieds
La circulation veineuse dans les membres inférieurs est principalement assurée par le système veineux profond et superficiel, assisté par plusieurs mécanismes physiologiques. Le système veineux est soumis à la pression hydrostatique, particulièrement élevée en station debout, ce qui impose une contrainte importante sur le retour veineux vers le cœur (Lerebourg et al., 2020).
Le retour veineux s’appuie notamment sur le fonctionnement du muscle triceps sural qui agit comme une pompe musculaire. Lors de sa contraction, le sang est expulsé des veines profondes vers le haut du membre. Un rôle fondamental est aussi dévolu au plantar venous pump ou pompe veineuse plantaire, une structure qui propulse une quantité importante de sang veineux à chaque phase d’appui lors de la marche, notamment lors de la phase de poussée (push phase).
Il faut également considérer le rôle de la chaîne cinétique, où le fonctionnement coordonné des segments du pied, cheville, genou et hanche contribue à une dynamique optimale du membre inférieur, impactant ainsi le retour veineux. Toute altération au niveau du pied ou de la mobilité articulaire peut influencer négativement ce système.
1.1 La pompe veineuse plantaire et sa biomécanique
La pompe veineuse plantaire fonctionne selon un mécanisme biomécanique intégrant la contraction des muscles intrinsèques du pied (MIP) et la tension de l’aponévrose plantaire. Le mouvement d’extension du gros orteil tend l’aponévrose plantaire dans un mécanisme appelé mécanisme du treuil (winch mechanism) qui élève et rigidifie la voûte, facilitant ainsi la propulsion sanguine. Cette dynamique est essentielle pour initier le retour veineux dans les segments inférieurs.
Les dysfonctions ou incapacités à activer efficacement ces muscles intrinsèques, souvent altérées par le port prolongé de chaussures restrictives ou amorties, compromettent l’efficacité du système veineux du pied.
2. Influence des Chaussures sur la Circulation Veineuse des Membres Inférieurs
Les différents types de chaussures modulent la biomécanique plantaire ainsi que la dynamique musculaire du membre inférieur, influant in fine sur le retour veineux. Parmi les caractéristiques clés des chaussures influant sur ces paramètres figurent :
- Empilement (stack height) : l’épaisseur totale de la semelle, influençant la proprioception et la charge mécanique plantaire.
- Zero Drop : hauteur égale entre le talon et l’avant-pied, favorisant un alignement postural naturel et une foulée médiale.
- Flexibilité torsionnelle et longitudinale : capacité de la chaussure à se conformer aux mouvements naturels du pied.
- Large Toe Box : espace devant les orteils permettant leur écartement naturel et leur rôle fonctionnel dans la stabilisation.
2.1 Les effets du chaussage rigide et à talons hauts
Les chaussures à talons hauts altèrent la posture et la dynamique musculaire par leur décalage d’axe entre le calcanéum et l’avant-pied. Cette situation entraîne une restriction des mouvements normaux du pied, notamment la limitation de la flexion plantaire, et une diminution de l’activité musculaire physiologique, avec une diminution de l’efficacité de la pompe musculaire veineuse. Certaines études montrent que l’augmentation de la contraction musculaire dans ces conditions n’améliore pas nécessairement le retour veineux en raison d’une mauvaise coordination systolique-diastolique (Lerebourg et al., 2020).
De plus, le chaussage étroit associé à un empilement élevé et une foulée non naturelle conduit à une surcharge mécanique sur le pied et la jambe, augmentant le risque de pieds gonflés et de syndrome de constriction veineuse, favorisant l’apparition d’insuffisance veineuse chronique.
2.2 Les chaussures minimalistes et leurs bénéfices
Les chaussures minimalistes, souvent caractérisées par un faible empilement, un Zero Drop et une flexibilité torsionnelle et longitudinale élevée, favorisent une plus grande sollicitation des muscles intrinsèques du pied et une amélioration de la proprioception. Le port de ce type de chaussure facilite un retour à une biomécanique plus naturelle du pied, avec une meilleure activation des muscles et une optimisation de la pompe musculaire veineuse.
Ces chaussures permettent également un bon positionnement des orteils grâce à un Large Toe Box, réduisant la compression latérale néfaste sur les tissus veineux. Elles contribuent ainsi à la diminution des phénomènes de stase veineuse et à la prévention des œdèmes.
3. Effets Cliniques et Pathologiques Liés au Chaussage Inadapté sur la Circulation Veineuse
L’insuffisance veineuse chronique (IVC) se manifeste fréquemment par des symptômes incluant œdèmes, sensation de lourdeur, et pieds gonflés. Le port de chaussures inadaptées, notamment étroites ou rigides, aggrave cette situation par plusieurs mécanismes :
- Compression mécanique par le talon ou l’avant-pied limitant le retour veineux.
- Diminution de la mobilité articulaire (cheville et pied), entravant l’efficacité de la pompe musculaire.
- Déséquilibres musculaires liés à un déréconditionnement musculaire des muscles intrinsèques du pied et du mollet, favorisant la stagnation veineuse.
Par ailleurs, des déformations du pied telles que le hallux valgus, le pied plat (pes planus) ou le pied creux (pes cavus), souvent exacerbées ou provoquées par un mauvais chaussage, perturbent le mécanisme naturel de la pompe veineuse et augmentent le risque de développement de l’IVC.
3.1 Impact du chaussage sur la biomécanique et la circulation veineuse
Le port prolongé d’une chaussure rigide et à fort empilement peut induire un déréglage de la chaîne cinétique inférieure, réduisant la coordination neuromusculaire et la capacité d’activation musculaire efficace. Cela se traduit par une diminution du volume de sang expulsé lors de la contraction musculaire et une stagnation veineuse potentialisée par l’immobilisme prolongé (Lerebourg et al., 2020).
En outre, l’affaiblissement des muscles intrinsèques du pied par manque de sollicitation affecte le mécanisme du treuil, baisse la rigidité dynamique de la voûte plantaire, et diminue ainsi la pression veineuse générée à chaque phase de poussée, donc le retour veineux.
4. Solutions et Recommandations pour Optimiser le Retour Veineux par le Chaussage
La prévention et la gestion de l’insuffisance veineuse liée au chaussage passent par une approche multifactorielle :
- Préférer des chaussures avec un faible empilement, favorisant la proprioception et la mobilité plantaire.
- Adopter des chaussures de type minimaliste ou à Zero Drop qui encouragent une marche avec une foulée naturelle (médio-pied), optimisant l’efficacité de la pompe veineuse.
- Choisir un Large Toe Box pour éviter la compression latérale des orteils et permettre une distribution optimale des forces plantaires.
- Privilégier la flexibilité torsionnelle et longitudinale de la semelle pour permettre aux muscles du pied de fonctionner pleinement.
- Effectuer une transition graduelle vers un chaussage plus minimaliste pour permettre une adaptation tendineuse et musculaire progressive, évitant le risque de surcharge mécanique.
- Utiliser des orthèses plantaires adaptées en cas de déformations ou dysfonctionnements spécifiques, pour soutenir le pied tout en conservant la stimulation musculaire.
- Favoriser l’activité physique régulière pour activer la pompe musculaire et éviter la stase sanguine, particulièrement lors de station assise ou debout prolongée.
4.1 Innovations technologiques dans le chaussage pour la santé veineuse
Des dispositifs innovants tels que les chaussures équipées de micro-mobile foot compression devices ou de matériaux viscoélastiques dans les semelles ont montré un effet bénéfique sur l’amélioration du retour veineux en optimisant la vidange veineuse et la pression intramusculaire (Lerebourg et al., 2020).
Les chaussures de récupération, comme les sandales ouvertes ou sans talon, sont utilisés par certains athlètes pour faciliter le retour veineux après efforts intenses, en améliorant la circulation par réduction des contraintes mécaniques et facilitation de la pompe plantaire.
5. Conclusion Scientifique et Perspectives
Le chaussage exerce une influence significative sur la circulation veineuse des membres inférieurs, via ses impacts biomécaniques et musculaires. Un choix adapté de la chaussure, prenant en compte les notions de Zero Drop, empilement réduit, flexibilité, et respect du Large Toe Box, optimise la fonction de la pompe musculaire veineuse et prévient l’apparition de troubles tels que l’insuffisance veineuse et les oedèmes chroniques.
Il est crucial, dans la prévention et la prise en charge de ces affections, d’intégrer la compréhension fine des mécanismes biomécaniques et sanguins, ainsi que d’adopter une approche intégrative incluant orthèses, exercices ciblés, et choix judicieux de chaussage. La recherche actuelle continue d’explorer les innovations technologiques pour améliorer ce retour veineux, offrant des perspectives prometteuses pour les patients et les populations à risque.